mercredi 30 septembre 2009

Girls Power vs féminisme

Tout s’est achevé vendredi, par chance, me libérant de trois mois d’indignation devant le poste. Au cours de ces trois mois, tandis que chaque soir le sponsor de Secret Story surinait avec machisme : « Qui a les plus grosses maracas ? », sa candidate la plus populaire, Cindy, voulait tout du moins nous prouver qu’elle avait l’apanage du girl power et de la cause des femmes. Les micros-trottoirs le lui ont bien rendu. Erratum : si cette femme représente le girl power aujourd’hui, je veux tout aussi bien croire qu’elle fait partie de l’Académie française…

Petit réajustement. Le concept de girl power est né au début des années 1990. Initialement prononcé « grrrl power », il est associé à un groupe de musique punk lesbien, les « Riot Grrrl », qui contribuèrent activement au mouvement du « third-wave feminism » aux Etats-Unis. Par la suite, le terme se voit popularisé par le groupe anglais des « Spice girls » dans la seconde moitié des années 1990. On note le changement de registre complet.
En 2009, donc, une héroïne de téléréalité qui m’évoque davantage les photos de Cindy Sherman que les portraits de Marilyn Monroe appelle aux droits des femmes en tyrannisant les candidats masculins de l’émission afin de fonder un « clan » girl power. Elle se présente elle-même comme une « grande gueule » et le fait savoir. Tout au long du jeu, elle prend les traits d’une fine manipulatrice, et, scandant à tout va son naturel, il me semble qu’elle ne cesse jamais de jouer. En somme, elle incarne une sorte de caricature historique que les hommes pouvaient faire des femmes : emmerdeuses, manipulatrice et fausses. Drôle de manière de défendre notre pouvoir. D’autre part, quand Cindy dont le net connait les vidéos érotiques minaude toute poitrine dehors devant les caméras, son pouvoir de femme n’est autre qu’un pouvoir du corps. On est bien loin de l’élévation de la troisième vague féministe contre la pornographie et l’image de la femme objet.

Le girl power , prolongation erronée du féminisme ?

On pourrait répondre oui, quand Cindy entend par girl power la domination et la manipulation d’un sexe par l’autre alors que les féministes originelles n’aspiraient qu’à l’égalité et au juste partage des tâches. Oui encore, quand les Pussycat Dolls ou autres groupes pop dessinent un girl power par leurs corps envoûtants tandis que Simone de Beauvoir faisait appel à la dignité pour s’affranchir de la subordination et que le combat des femmes était d’abord un combat civique.
Il semblerait bien que nous assistions à un pervertissement du sens originel du girl power et de ce qu’il évoque en premier lieu : la cause des femmes. En effet, le fameux pouvoir féminin, à travers les icônes pop qui le supportent depuis les années 1990, apparaît –je le disais à propos de Cindy- comme un pouvoir du corps, comme si ces jeunes femmes voulaient faire de leur sensualité et de leur potentiel sexuel une arme de soumission de ces messieurs.
Le retournement de situation est intéressant : après s’être battues durant une bonne partie du XXe siècle pour la dissociation de la sexualité et de la procréation qui aboutit au droit à la contraception, à l’avortement mais aussi à la reconnaissance du plaisir féminin, les féministes s’attaquèrent à l’image de plus en plus répandue dans les médias de la femme-objet –entendons objet du désir et du plaisir masculin. Aujourd’hui, le girl power revendiqué comme un néo-féminisme par les icônes est d’une hybridité étrange : il est celui d’une femme-objet mais d’une femme objet auto-suffisante, dont la dimension sexuelle est une arme de pouvoir. Je pose la question : faut-il être une bimbo pour devenir une "independant woman" …?

Vers une juste acception du girl power


Ce concept populaire, s’il était revendiqué avec plus de sens, pourrait pourtant servir à démocratiser certaines idées féministes. Beth Ditto, la chanteuse du groupe de rock The Gossip, en serait une bonne incarnation. Militante en faveur du collectif LGBT (Lesbian, Gay, Bisexual and Transgendered people), elle a su se distinguer par son talent et sa personnalité provocante, non par son physique. Ou peut-être oui, aussi par son physique, mais seulement pour montrer un mépris des normes et s’assumer telle qu’elle est. Son refus de poser pour les magasins Gap car ils ne produisaient pas de vêtements dans sa taille prouve la sincérité de son engagement.
Vivre pleinement, être fidèle à soi-même dans la dignité, peut-être est-ce cela, le juste girl power.

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