dimanche 3 mai 2009

Pour une re-sacralisation du sexe

En pleine crise économique, on entend souvent que nous autres, jeunes, « 18-25 ans », sommes les premiers sacrifiés face à la montée du chômage, de l’emploi précaire, et de biens d’autres choses peu réjouissantes. Aussi, on plaint cette pauvre génération aux sombres perspectives d’avenir en matière d’emploi, - car oui, il faut le dire : nous ne nourrissons plus beaucoup d’espoir quant au futur. Ce que l’on dit moins, c’est que nous sommes également une génération sacrifiée en matière d’amour. En effet, face à la désacralisation complète du sexe, les relations entre les hommes et les femmes deviennent de plus en plus complexes, et ce, de plus en plus tôt.
Prenez ma génération par exemple, de la fin des années 1980, celle précisément des « 18-25 ans » aujourd’hui : la confusion n’a jamais été plus totale. Les statuts relationnels se multiplient –couples, sex friends, relations d’un soir, couples libres, et j’en passe-, et les femmes croient –car les médias le prétendent- qu’elles peuvent consommer le sexe comme des hommes, sans nourrir aucuns sentiments. En réaction à cela, nos attentes et nos craintes entrent en conflit, et nos comportements se vident de leur sens.
Un exemple concret : le baiser. A l’origine, démonstration de tendresse ou de désir, premier moment intime où se rencontrent deux corps. Aujourd’hui, le baiser vide : moi même, combien de fois ai-je embrassé des inconnus dont je ne revis jamais les lèvres, dont je ne rencontrai jamais vraiment les corps ? Des lèvres de nuit. Et cela est courant. Plus : cela est banal. Pourtant, embrasser, c’est donner un peu de soi à l’autre. C’est lui ouvrir la porte vers son intériorité. Et cela a un sens. Ainsi, embrasser à tout va n’importe qui, à grands renforts d’alcool, désacralise le geste, mais également le sens du geste : le baiser n’est plus l’apanage des couples. Et les couples se défont. Embrassez justement un jeune homme récemment rencontré, et passez la nuit avec lui : il est de plus en plus difficile de savoir, après cette nuit, quel statut définit votre relation. En effet, il se peut que vous n’ayez été qu’un corps, dans une optique de pure consommation du sexe. Il se peut également que vous partagiez d’autres centres d’intérêts, que vous vous appréciez, et là, la poursuite de l’affaire devient délicate puisque vous ignorez quel statut recherche l’autre et qu’il va falloir chercher à le découvrir sans le lui demander… Oh, comme j’envie parfois la génération de mes parents, où les étapes ne se brûlaient pas et se déroulaient conventionnellement, car alors le sexe n’était pas désacralisé. Quand on embrassait quelqu’un, on savait qu’on était ensemble. Désormais, nos relations se déroulent à l’envers : on fait l’amour, puis on apprend à se connaître. Cherchez la logique…
A qui la faute ? La génération de nos parents, celle de mai 1968 ? Non, je ne l’accuse pas, j’ai bien trop de respect pour leur combat qui déboucha, quelques années plus tard, sur l’obtention du droit des femmes le plus fondamental. Je l’envie pourtant, cette génération, car la libéralisation du sexe qui s’opéra alors devait être jouissive, car elle était voulue. On s’était battu pour cela. Cette libéralisation était encore maîtrisée par ses initiateurs, tandis que nous, nous la subissons comme un héritage informe : elle s’est imposée à nous, sans règles et sans autres repères. Et peut-être nos parents la vivaient-ils mieux car ils avaient, même rejetés, les restes des repères d’avant mai 1968. Ils avaient connu le sexe non-libéralisé. Nous n’avons pas cette chance et c’est probablement pour cela que nous nous sentons dépassés et que parfois même, nous en souffrons.

Malgré ce sombre tableau, ces pauvres temps pour l’amour, j’ose continuer à croire que le sexe a un sens. Il n’est pas qu’un acte entièrement gratuit de consommation. Il est communion, fusion, rencontre de deux sensibilités. Pour moi, le sexe est métaphysique, car il ouvre à une réalité autre : le plaisir à deux, sublimé, est un abîme, quelque chose qui nous dépasse. Mais irréfléchi, consommé avidement comme une boîte de gâteaux, il ne sera jamais abîme : un pur assouvissement des besoins physiques. Il est peut-être nécessaire de retourner à cela : une re-sacralisation du sexe, qui refasse de ce dernier l’aboutissement final et logique de l’amour et non pas seulement sa première étape. Faisons des années 2000 des années poétiques, excessives, contre la « tiédeur » du progrès moral qui a honteusement fait du sexe un acte de consommation banal.