dimanche 22 novembre 2009

Sans aucun nom

"Nous fîmes l'amour longtemps à la façon des craquements qui se produisent dans les meubles". André Breton, Poisson soluble

Je suis épuisée de cette fatigue exquise où les mots ne peuvent se mêler à toi. Dans tes cheveux les poissons dansent, et toi tu ne sais pas –enfant !– les poissons d’or quand tu m’étreins. C’est quelque chose qui passe, imperceptible. TOUT EST SOLUBLE. Le lit soluble comme l’air au milieu de nos cris. Mes jambes solubles. Les murs de la ville solubles. Mais la ville n’existe plus. Tout est vain, évanoui...

Nous sommes au milieu d’un grand lac, sur une petite île. Un pêcheur chante au loin, le ciel changeant se reflète sur l’eau. Du gris et du vert plus blanc que la nuit. Ta bouche se tait. Parfois, il n’y a rien à dire. L’immensité du lac a volé tous les mots, et le sens de la vie, même l’idée de la mort. Et les poissons nagent autour de l’île, les poissons que jamais les pêcheurs ne prendront dans leurs filets. Je voudrai dire que je m’imprègne de cette sérénité, mais voilà : je ne pense plus avec ma tête. Tout n’est que sensations. Je me sens retrouver cet état heureux, sans conscience.

Et, pressés contre ton corps, mes yeux furtifs déclament : voici la seule vérité valable, celle des corps plus que celle des mots, celle des mains ennemies l’une contre l’autre, celle des soupirs murmurés. Il y a les bleuets et puis les poissons qui nagent entre nous. C’est ce que le langage ne peut pas dire ; c’est ce que la raison ne peut pas entendre. Au loin, le pêcheur chante...

Ton corps nu qui flotte
Ton beau corps d'enfant
Ses boucles, des filaments verts
retombent gentiment
Sur les ondes
Demain
Ce sera la nuit
Oui la nuit, veux-tu?
La rivière morte
Les boucles de ton corps
Ne danseront plus
L'argent des poissons
Les poissons de lune
Tournent autour de toi
Jouent avec les boucles
Les voleuses, les jalouses
Sous la lune vide
Git ton beau corps
Enfant ce soir
Demain
Auprès de toi dans l'ombre

lundi 9 novembre 2009

Ce qu'il advient des mystérieuses, hommage à Léona Camille Ghislaine D.,

Il est des femmes itinérantes, changeantes, que l’on entrevoie derrière les fougères, dont les yeux-réverbères illuminent encore parfois le vieux Paris comme autant de phares. Léona Camille Ghislaine D. la mystérieuse, dont le surnom n’a d’égal que l’écho de l’espérance a montré la voie parmi toutes les autres, femmes légères qui déambulent, autrefois filles, aujourd’hui rares. J’aurai aimé connaître son visage pour m’y voir davantage ; je tremble de lui ressembler. Merveilleuse. Voici le sort qui lui fut réservé par le tyran du surréalisme. Mais les génies sont cruels. Aux louanges de Breton pour son guide, sa mélusine lui dévoilant les signes succèdent une ode à la nouvelle femme aimée, et –ô ironie amère – l’œuvre qui porte le nom de la fée s’achève sur l’éloge d’une autre, et Nadja se révèle simple intercesseur vers ce nouvel amour fou.
Nadja était un prisme miroitant, folle magique lisant les cartes, mystique inquiétante s’agrippant aux barreaux de la Conciergerie. La femme fascinante n’est jamais celle que l’on choisit. Les idéaux, les allégories effraient. On ne tombe pas amoureux d’une allégorie de la vie surréaliste, ou de la vie tout court, car ce qu’elle incarne est bien trop fort : il n’y plus rien à projeter sur elle, et qu'aime-t-on à part les échos de nos idéaux? Breton a-t-il su aimer Nadja ? L’a-t-il seulement voulu ? Il me semble du moins qu’elle l’a aimé.
Nadja femme-enfant, fragile. Elle est celle qui est une autre sans cesse. L’insaisissable. Fragile exploitée. Fragile poétique. Une fois le surréalisme servi, la belle fantaisie finit à l’asile. Et Breton ne revit jamais celle qui inspira l’un de ses plus beaux écrits surréalistes, celle qui lui avait appris à lire Paris. Celle qui se maquillait très bien les yeux mais délaissait le reste du visage par manque de temps. Avant la fin de leur aventure, il l’avait étreinte. Une fois. Une seule nuit. Une nuit ratée. Une erreur. A croire que l’on ne fait pas l’amour aux femmes-enfants sans en voir le merveilleux s’évaporer dans l’aurore de la campagne –là-bas c’était Saint-Germain-en-Laye.
Le choix de Breton dans une époque autrement plus encline à la fantaisie et à la poésie m’inquiète. Je n’imagine difficilement ce qu’il advient des Nadjas aujourd’hui, si toutefois il en existe encore. Ou bien si justement, je ne l’imagine que trop. Les Nadjas sont devenues des hystériques et des incomprises, les Nadjas veulent trop. Je reste sur le bord du chemin. J’aime toujours les artistes… Le premier Moderne déclamait que la forme d’une ville change plus vite –hélas- que le cœur d’un mortel. De même, doucement, ondoyantes, les Nadja traversent toujours les villes comme les cœurs des hommes pour en ressortir vers des chemins incertains, pour voir les villes ravies par les autres, celles qui ne marchent pas les yeux au ciel. Les voyantes détrônées par les aveugles en somme. Ah ! mais les paupières des aveugles sont plus malléables… et les fougères trop vives…

samedi 17 octobre 2009

I feel myself

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mercredi 30 septembre 2009

Girls Power vs féminisme

Tout s’est achevé vendredi, par chance, me libérant de trois mois d’indignation devant le poste. Au cours de ces trois mois, tandis que chaque soir le sponsor de Secret Story surinait avec machisme : « Qui a les plus grosses maracas ? », sa candidate la plus populaire, Cindy, voulait tout du moins nous prouver qu’elle avait l’apanage du girl power et de la cause des femmes. Les micros-trottoirs le lui ont bien rendu. Erratum : si cette femme représente le girl power aujourd’hui, je veux tout aussi bien croire qu’elle fait partie de l’Académie française…

Petit réajustement. Le concept de girl power est né au début des années 1990. Initialement prononcé « grrrl power », il est associé à un groupe de musique punk lesbien, les « Riot Grrrl », qui contribuèrent activement au mouvement du « third-wave feminism » aux Etats-Unis. Par la suite, le terme se voit popularisé par le groupe anglais des « Spice girls » dans la seconde moitié des années 1990. On note le changement de registre complet.
En 2009, donc, une héroïne de téléréalité qui m’évoque davantage les photos de Cindy Sherman que les portraits de Marilyn Monroe appelle aux droits des femmes en tyrannisant les candidats masculins de l’émission afin de fonder un « clan » girl power. Elle se présente elle-même comme une « grande gueule » et le fait savoir. Tout au long du jeu, elle prend les traits d’une fine manipulatrice, et, scandant à tout va son naturel, il me semble qu’elle ne cesse jamais de jouer. En somme, elle incarne une sorte de caricature historique que les hommes pouvaient faire des femmes : emmerdeuses, manipulatrice et fausses. Drôle de manière de défendre notre pouvoir. D’autre part, quand Cindy dont le net connait les vidéos érotiques minaude toute poitrine dehors devant les caméras, son pouvoir de femme n’est autre qu’un pouvoir du corps. On est bien loin de l’élévation de la troisième vague féministe contre la pornographie et l’image de la femme objet.

Le girl power , prolongation erronée du féminisme ?

On pourrait répondre oui, quand Cindy entend par girl power la domination et la manipulation d’un sexe par l’autre alors que les féministes originelles n’aspiraient qu’à l’égalité et au juste partage des tâches. Oui encore, quand les Pussycat Dolls ou autres groupes pop dessinent un girl power par leurs corps envoûtants tandis que Simone de Beauvoir faisait appel à la dignité pour s’affranchir de la subordination et que le combat des femmes était d’abord un combat civique.
Il semblerait bien que nous assistions à un pervertissement du sens originel du girl power et de ce qu’il évoque en premier lieu : la cause des femmes. En effet, le fameux pouvoir féminin, à travers les icônes pop qui le supportent depuis les années 1990, apparaît –je le disais à propos de Cindy- comme un pouvoir du corps, comme si ces jeunes femmes voulaient faire de leur sensualité et de leur potentiel sexuel une arme de soumission de ces messieurs.
Le retournement de situation est intéressant : après s’être battues durant une bonne partie du XXe siècle pour la dissociation de la sexualité et de la procréation qui aboutit au droit à la contraception, à l’avortement mais aussi à la reconnaissance du plaisir féminin, les féministes s’attaquèrent à l’image de plus en plus répandue dans les médias de la femme-objet –entendons objet du désir et du plaisir masculin. Aujourd’hui, le girl power revendiqué comme un néo-féminisme par les icônes est d’une hybridité étrange : il est celui d’une femme-objet mais d’une femme objet auto-suffisante, dont la dimension sexuelle est une arme de pouvoir. Je pose la question : faut-il être une bimbo pour devenir une "independant woman" …?

Vers une juste acception du girl power


Ce concept populaire, s’il était revendiqué avec plus de sens, pourrait pourtant servir à démocratiser certaines idées féministes. Beth Ditto, la chanteuse du groupe de rock The Gossip, en serait une bonne incarnation. Militante en faveur du collectif LGBT (Lesbian, Gay, Bisexual and Transgendered people), elle a su se distinguer par son talent et sa personnalité provocante, non par son physique. Ou peut-être oui, aussi par son physique, mais seulement pour montrer un mépris des normes et s’assumer telle qu’elle est. Son refus de poser pour les magasins Gap car ils ne produisaient pas de vêtements dans sa taille prouve la sincérité de son engagement.
Vivre pleinement, être fidèle à soi-même dans la dignité, peut-être est-ce cela, le juste girl power.

dimanche 23 août 2009

Ultra-moderne solitude

Mercredi 19 août. Au sortir d'une nuit passée à imaginer mon désormais ex ami et sa nouvelle amie dans le même lit, je prends la grave décision de mettre fin à notre amitié sur Facebook, réseau social ô combien maudit qui m'avait donné la veille la sublime satisfaction de savoir "qu'[elle] [arrivait] :)" et avait ainsi occasionné ladite insomnie. L'étrange échange de mails qui s'en suivent et les supplications inattendues de mon ami de ne pas le supprimer -car oui, si je le supprimais, je sortirai quelque part un peu de sa vie, et ça, disait-il, il ne le voulait pas- m'amènent à m'interroger sur la place que cet immense tissu faussement social a fini par prendre dans notre vie.
Bizarrement, pour lui qui a fait le choix de ne plus me voir chaque jour, cette suppression est assimilable à la fin de notre relation en général et à ma sortie de son quotidien. Au départ, je m'indigne de cette vision réductrice et argue que nous avons des tas d'autres moyens de communiquer, puis je me mets à douter : dans le couple, la place de Facebook parmi les autres moyens de communication tels que le téléphone, les mails, les SMS -je n'ose écrire "les lettres", ce serait encore laisser libre cours à mon idéalisme- a en effet pris une place prépondérante. L'étalage de nos vies amoureuses dans les différents statuts: "marié", "en couple", "célibataire" ou encore "c'est compliqué", a dépersonnalisé l'intime, au point où certains en arrivent à la découverte humiliante de leur rupture par le changement de statut plutôt que par une annonce de vive voix.
Le réseau social est aussi devenu un nouveau médium pour dire "je t'aime", "j'aime" ce que tu fais, ou encore "j'arrive" et a ainsi développé une dimension peut-être perverse de l'amour, qui prend désormais une partie de son sens aux yeux des autres dans une espèce de sentiment de possession et d'exhibitionnisme. La triste vérité est que ces petites déclarations d'amour publiques sont quelque part des déclarations d'amour ultimes. Comme lorsqu'ils se tiennent la main dans la rue, les couples veulent afficher ostensiblement leur bonheur par ces attentions virtuelles. Cela n'est pas mal, mais, il faut le dire, sérieusement moins simple, moins beau, et moins poétique que le contact entre deux mains fières. Je continue à croire que la beauté d'une preuve d'amour est qu'elle n'appartient qu'à l'autre, qu'elle est admirable car elle est personnelle, intime et surtout unique.
Aussi, sans amitié sur Facebook, l'autre nous échappe totalement : on abandonne la satisfaction illusoire de regarder sa photo tous les soirs et on perd la curiosité malsaine de savoir avec qui il couche. C'est en ce sens que le réseau social est un médium possessif, car oui, le réseau dit tout de notre quotidien -ou, du moins, ce que nous voulons bien en dire aux autres, et cela est parfois effrayant. Nous en montrons autant que nous aimons en voir et dieu sait si cela parle au voyeurisme de l'homme.
Voilà, le réseau fait partie intégrante du quotidien comme le pain ou le café : on allume l'ordinateur en rentrant chez soi pour se connecter comme on se lave les mains par habitude. Il y a en effet, comme me le disait mon ami, quelque chose de rassurant dans le réseau. Voir le visage de ses amis, connaître leur humeur du jour... tout cela donne l'impression qu'ils sont toujours accessibles, qu'ils sont toujours là. L'appartenance au réseau est apaisante et, de ce fait, perversement addictive. Peut-être parce que nous nous sentons de plus en plus seuls. Peut-être parce la dématérialisation de tout -et même des rapports humains, et même des mains fières- nous rend de plus en plus seuls, là, derrière l'écran, comme des millions d'autres.

lundi 8 juin 2009

Des bleuets de mai

Dans les bras des amants, la nuit de mai porte un manteau sombre qui recouvre tout. Enveloppés dans ce fourreau de ténèbres, plus rien n’existe. Tout disparaît : le monde, les règles et la pudeur, et ils ne savent même plus leurs noms – ou peut-être, si, quand ils se le murmurent doucement à l’oreille. Seul l'espace de la chambre, confiné de volupté, demeure dans leurs consciences. Seuls les sens gouvernent. Seuls au monde restent les amants enlacés.
Une lutte fulgurante s’opère entre deux corps en torsion. Une lutte de lumière en tension, dans le clair-obscur lunaire.
Leurs sexes sont deux armes qui se menacent, graves et seules, dans un duel. Ils se retranchent dans leurs pudeurs pour mieux envahir l’autre par surprise. Ils s’assaillent et se dévorent. Leurs mains sont meurtrières et se veulent pressantes. Oppressantes, sur la nuque, elles flirtent avec la mort. Oui, ils veulent voir l’autre céder, n’être plus que du néant, là, dans la chambre. Un seul corps béant qui ne connaît plus rien, qui n’est plus que plaisir et douleur. Un corps qui meure un peu entre les bras de l’autre : voilà ce que les amants veulent.
L’amante oublie tout, ne veut plus que vaincre l’amant avec ses seins, sa peau et ses dents pour qu’enfin il la possède, charnellement et religieusement. Elle le veut par elle, avec elle, en elle. Lui, soldat fougueux, joue à la guerre comme un enfant et ordonne sans conscience. Il vainc les dernières résistances de l’ennemie à la peau douce. Il a le génie de la guerre charnelle, et lorsqu’il sent les ongles de l’amante plantés dans son dos, il sait : la fin approche. Alors il peut s’abandonner et s’étouffer dans le grand manteau de la nuit.
Violence. Fulgurance. Lumière.
Des champs de bleuets. La jouissance est un champ de bleuets qui hurlent, jaillis de leurs racines, raides et nés sur la terre pour la première fois. Leurs fleurs éclatent dans une douceur infime, frêles et fières. Leurs cris fendent puis brisent les murs de la chambre. Ils sont la pâleur bleutée de l’éphémère et la clarté blanche de la violence. Les bleuets signent l’armistice et laissent les amants délivrés, les corps soupirant et les cœurs battant. Et l’espace d’un nouveau monde de pureté et de douceur, d’espérances et de nouveaux repères s’ouvre, car le vieux monde a disparu.

dimanche 3 mai 2009

Pour une re-sacralisation du sexe

En pleine crise économique, on entend souvent que nous autres, jeunes, « 18-25 ans », sommes les premiers sacrifiés face à la montée du chômage, de l’emploi précaire, et de biens d’autres choses peu réjouissantes. Aussi, on plaint cette pauvre génération aux sombres perspectives d’avenir en matière d’emploi, - car oui, il faut le dire : nous ne nourrissons plus beaucoup d’espoir quant au futur. Ce que l’on dit moins, c’est que nous sommes également une génération sacrifiée en matière d’amour. En effet, face à la désacralisation complète du sexe, les relations entre les hommes et les femmes deviennent de plus en plus complexes, et ce, de plus en plus tôt.
Prenez ma génération par exemple, de la fin des années 1980, celle précisément des « 18-25 ans » aujourd’hui : la confusion n’a jamais été plus totale. Les statuts relationnels se multiplient –couples, sex friends, relations d’un soir, couples libres, et j’en passe-, et les femmes croient –car les médias le prétendent- qu’elles peuvent consommer le sexe comme des hommes, sans nourrir aucuns sentiments. En réaction à cela, nos attentes et nos craintes entrent en conflit, et nos comportements se vident de leur sens.
Un exemple concret : le baiser. A l’origine, démonstration de tendresse ou de désir, premier moment intime où se rencontrent deux corps. Aujourd’hui, le baiser vide : moi même, combien de fois ai-je embrassé des inconnus dont je ne revis jamais les lèvres, dont je ne rencontrai jamais vraiment les corps ? Des lèvres de nuit. Et cela est courant. Plus : cela est banal. Pourtant, embrasser, c’est donner un peu de soi à l’autre. C’est lui ouvrir la porte vers son intériorité. Et cela a un sens. Ainsi, embrasser à tout va n’importe qui, à grands renforts d’alcool, désacralise le geste, mais également le sens du geste : le baiser n’est plus l’apanage des couples. Et les couples se défont. Embrassez justement un jeune homme récemment rencontré, et passez la nuit avec lui : il est de plus en plus difficile de savoir, après cette nuit, quel statut définit votre relation. En effet, il se peut que vous n’ayez été qu’un corps, dans une optique de pure consommation du sexe. Il se peut également que vous partagiez d’autres centres d’intérêts, que vous vous appréciez, et là, la poursuite de l’affaire devient délicate puisque vous ignorez quel statut recherche l’autre et qu’il va falloir chercher à le découvrir sans le lui demander… Oh, comme j’envie parfois la génération de mes parents, où les étapes ne se brûlaient pas et se déroulaient conventionnellement, car alors le sexe n’était pas désacralisé. Quand on embrassait quelqu’un, on savait qu’on était ensemble. Désormais, nos relations se déroulent à l’envers : on fait l’amour, puis on apprend à se connaître. Cherchez la logique…
A qui la faute ? La génération de nos parents, celle de mai 1968 ? Non, je ne l’accuse pas, j’ai bien trop de respect pour leur combat qui déboucha, quelques années plus tard, sur l’obtention du droit des femmes le plus fondamental. Je l’envie pourtant, cette génération, car la libéralisation du sexe qui s’opéra alors devait être jouissive, car elle était voulue. On s’était battu pour cela. Cette libéralisation était encore maîtrisée par ses initiateurs, tandis que nous, nous la subissons comme un héritage informe : elle s’est imposée à nous, sans règles et sans autres repères. Et peut-être nos parents la vivaient-ils mieux car ils avaient, même rejetés, les restes des repères d’avant mai 1968. Ils avaient connu le sexe non-libéralisé. Nous n’avons pas cette chance et c’est probablement pour cela que nous nous sentons dépassés et que parfois même, nous en souffrons.

Malgré ce sombre tableau, ces pauvres temps pour l’amour, j’ose continuer à croire que le sexe a un sens. Il n’est pas qu’un acte entièrement gratuit de consommation. Il est communion, fusion, rencontre de deux sensibilités. Pour moi, le sexe est métaphysique, car il ouvre à une réalité autre : le plaisir à deux, sublimé, est un abîme, quelque chose qui nous dépasse. Mais irréfléchi, consommé avidement comme une boîte de gâteaux, il ne sera jamais abîme : un pur assouvissement des besoins physiques. Il est peut-être nécessaire de retourner à cela : une re-sacralisation du sexe, qui refasse de ce dernier l’aboutissement final et logique de l’amour et non pas seulement sa première étape. Faisons des années 2000 des années poétiques, excessives, contre la « tiédeur » du progrès moral qui a honteusement fait du sexe un acte de consommation banal.

mercredi 29 avril 2009

Lui

Ils déambulaient dans la ville, sans trop savoir encore où ils allaient. Paris, c’était un peu comme elle : il avait peur qu’en étant loin d’elle, il ne la reconnaisse plus quand il reviendrait, et qu’ainsi il laisse d’autres hommes habiter son cœur et son corps. Derrière ses grands yeux mats, il la redoutait, elle et sa candeur. Il lui demandait ses bonnes raisons pour l’aimer. Elle lui répondait : « J’aime ton sourire, ta vision poétique du monde, les grains de beauté sur ton torse, tes sarcasmes, ton regard lourd quand tu me vois nue, ton regard clair après que tu m’as fait l’amour. J’aime ton odeur, la façon dont tu mets ton bras sur mes épaules quand on marche comme si tu voulais dire aux autres que je ne suis qu’à toi. Je t’aime pour tout cela, parce que tu es à moi d’une manière unique, comme je suis à toi d’une manière unique, comme je ne l’ai été et ne le serai jamais avec aucun autre. Parce que tu es toi ».
Alors, ils repartaient, toujours plus loin sur les trottoirs secs, avec dans la bouche un avant-goût de printemps au beau milieu de l’hiver.

lundi 27 avril 2009

La femme de fer

C’était l’après-midi. Dehors, le vent murmurant contre la fenêtre dispersait les nuages. Dans la chambre, un autre murmure : le cliquetis mécanique des cheveux d’Eve qui tapaient contre les épaules de l’amant. Tandis que le fer froid tombait goutte à goutte sur leurs corps nus, leurs mains et leurs jambes entrelacés dans un bruissement furtif donnaient naissance aux soupirs rauques. Les draps plissés frottaient contre la peau douce et ses bas qu’elle avait gardé.
- Fusion intemporelle -
On voyait des stries de soleil passer à travers le filtre des volets.
Leur union finie, ils restèrent longtemps ensemble, l’un dans l’autre, jusqu’à ce que le soleil meure et que leurs cœurs s’apaisent… La main toujours perdue dans les cheveux d’Eve, l’amant s’étonna : « Encore ? ». Eve ne répondit rien, se contenta de sourire, les joues rouges et le souffle court. Puis, il lui dit: « J’avais l’impression que tes cheveux étaient en fer ». Elle sourit de plus belle. Les cheveux libres enfin, humide, elle le serra plus fort, et alors le métal des barrettes éparpillées sur le lit eut l’éclat de leurs yeux perdus : « Ta femme. Je suis ta femme de fer ».